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Et Mayuyu envoya un ange à ma rencontre... - par Tokonoma72 (partie 1)

Dimanche 24 Décembre 2017 à 12:28
Et Mayuyu envoya un ange à ma rencontre... - par Tokonoma72 (partie 1)

Impressions sur le dernier concert de Watanabe Mayu – 31 octobre 2017

Ce jour-là, le soleil jouait avec les nuages une drôle de partie de cache-cache. La température un peu fraîche ne laissait rien présager de ce que j’allais vivre durant cette folle journée. La vie de chacun est remplie d’émotions, bonnes et mauvaises. On traverse les moments l’esprit léger ou le cœur lourd. Parfois, lorsque l’on regarde en arrière, on réanalyse les événements de manière rationnelle, on perçoit l’enchainement des causes et des conséquences ; parfois aussi, on privilégie une approche moins rationnelle. Dans ce cas, notre vie est faite de signes annonciateurs, d’épisodes qui ne sont que des exercices préparatoires au grand jour qui s’annonce ou du moins qu’on espère voir advenir. On se vautre allègrement dans l’irrationnel, on recrée ce qu’a été notre vie, succession d’apparitions, de malédictions, de miracles. La vie n’est dès lors qu’un récit où l’extraordinaire prend tout son sens. C’est à ce récit merveilleux que je vous convie.

Dans la suite, les faits concrets sont tous véridiques, la manière dont je les ai vécu reflète mon état d’esprit.

31 octobre 2017, 18h, devant la Saitama Super Arena : la nuit est tombée, il fait froid. Portant un jean, une chemise noire à manches courtes, une veste et une écharpe légères, je ne suis manifestement pas équipé pour les soirées d’automne japonaises. Combien de fois en ce jour me suis-je demandé ce que je faisais là, quel était le sens de ma présence ici ? Et plus l’échéance approche, plus je ressens l’incongruité de cette attente et le ridicule de la situation. Me voilà à 10 000 kilomètres de chez moi, coincé devant les portes du paradis. Qu’est-ce qui a bien pu m’entrainer dans cette absurdité ?



"... quel était le sens de ma présence ici ?"

 

Depuis des semaines, des mois, je pense à ce jour pourtant… pour une fois, j’ai tenté de me préparer à peu près correctement mais je ne suis pas doué pour ces choses-là… l’idée a germé dans mon esprit au cours du printemps… davantage un désir confus qu’une véritable idée… en cette année 2017, on sait tous alors que Mayu va un jour ou l’autre annoncer son sotsugyou… quand ? comment ?

Un jour de juin 2017, nous sommes plusieurs, rassemblés pour regarder dans une ambiance chaleureuse le Sousenkyô et la énième victoire de Sasshi. La percée des NGT, le discours dément de Riripon… et l’annonce du sotsugyô de Mayu dans cette salle pitoyable d’Okinawa… sans son public… l’impression qu’on lui a volé ce moment… sentiment d’injustice… frustration et tristesse se mêlent et font couler les larmes des fans de Mayu…



"...et l’annonce du sotsugyô de Mayu dans cette salle pitoyable d’Okinawa…"

 

L’idée fait son chemin : et si j’y allais à ce concert d’adieu non encore programmé mais que l’on attend tous… ce serait fou, non ?

Mon expérience personnelle avec les idols japonaises est le fruit d’un malentendu. Inutile d’entrer dans tous les détails … je dirai simplement que mon intérêt pour les AKB48 fait suite à une rencontre fortuite qui a eu lieu à la fin de l’été 2012…

Depuis ce jour – il est important de le signaler pour bien comprendre – je n’ai connu que très peu d’expériences réelles avec l’univers 48/46. Ce fut d’abord le mini live des Nogizaka 46 à la Japan Expo ; ce fut ensuite la découverte IRL de Shimazaki Haruka lors d’une avant-première au Forum des images à Paris d’un film où elle jouait le rôle principal. Ce fut tout durant les quatre premières années – c’est peu finalement pour un hobby qui occupe une bonne partie de mon temps libre (et encore davantage mon esprit), d’autant plus pour quelqu’un qui se rend régulièrement au Japon. Paresseux, je me suis longtemps contenté d’attendre que mes chères AKB (and co) viennent à moi, ne faisant aucun effort pour leur rendre visite. Puis arriva 2017 et tout bascula…



"...ce fut ensuite la découverte IRL de Shimazaki Haruka lors d’une avant-première"

 

Voir le mini live des Nogi, voir Paruru à quelques mètres de moi (j’étais dans la queue devant la salle de cinéma, j’entends un murmure provenant de derrière moi, je me retourne et je la vois à quelques centimètres de moi, elle me frôle en passant) … premières expériences à la fois dérisoires et fortes.

Quand Yukirin surgit

Dois-je dire tout ce que je dois à Yukirin ici ? L’alter ego de Mayu dans le monde AKB… cette drôle d’entité « Mayuki ». Dois-je penser que ma rencontre avec Yuki fut comme l’annonce de quelque chose de plus grand, la préfiguration d’un moment que je ne suis pas prêt d’oublier ? Lorsqu’un jour de juillet 2017 court la rumeur de la présence de Yukirin à Paris, j’enrage d’abord de me savoir si proche d’elle et de ne pas pouvoir la voir. Rapidement court une nouvelle rumeur, rumeur qui gonfle et se confirme d’heure en heure : demain matin, Yukirin chantera à la Japan Expo. « Hein ! quoi ? mais enfin, là, comme ça ! » Deux chansons apparemment. Hum, ça vaut le coup d’y aller ou pas ? si elle chante deux chansons et repart, quel intérêt ? Je n’ai même pas de billets pour la Japan Expo… pas prévu d’y aller cette année…

L’excitation et l’indécision montent… c’est trop bête, je me décide, j’y vais, c’est peut-être dans ces moments improvisés que l’on peut vivre des choses particulières… vite, vite, j’achète mon ticket d’entrée… je me couche… tente de dormir… je me relève… je me recouche… bon OK, si je la vois, autant faire un truc pour qu’elle me remarque, mais quoi ? Je n’ai aucun goodies AKB : ni tee-shirt ni casquette … rien, que dalle (tu parles d’un fan !)… ça tourne dans ma tête… A une heure du matin, une idée stupide me vient. Je peux bien sacrifier un tee-shirt blanc : fébrilement, j’écris en très gros au marqueur noir les deux caractères « yu » et « ki » en hiraganas. Hum, le résultat est esthétiquement contestable… pas grave, c’est du bricolage mais si par pur hasard elle voit mon tee-shirt, elle saura que je suis venu pour elle… c’est la seule chose qui importe alors à mes yeux… oui mais… le truc vraiment cool, ce serait qu’elle me signe mon tee-shirt… bon, allez soyons fou, je farfouille dans mes tiroirs et finis par trouver ce que je cherche : un feutre noir… on ne sait jamais après tout… mieux vaut tout prévoir, même l’improbable…

Yukirin à Paris, pour moi cela veut dire d’abord quelqu’un qui est proche de Mayu… une extension de Mayu en quelque sorte. J’ai toujours apprécié Yukirin aussi pour elle-même. Je me demande pourquoi j’ai un peu hésité à aller la voir. C’est fou à quel point on ne se comprend même pas toujours soi-même. Comme Mayu, Yukirin m’accompagne depuis cinq ans. Quand on a eu si peu d’occasions de voir des membres AKB, qui plus est que l’on apprécie, l’effet provoqué par une éventuelle rencontre est forcément plus important. Je me revois gribouillant ce « Yuki » accroupi sur le parquet, une nuit d’été à Paris…

Le lendemain matin, j’enfile mon tee-shirt que je n’assume pas complètement : RER, la queue pour entrer à la Japan Expo… les news en direct par le fandom : Yukirin vient répéter sur la scène alors que je suis encore dans cette queue qui fait du sur place. Stress et fébrilité m’accompagnent et croissent au rythme de mon avancée dans la foule des cosplayers et autres gamers… attends Yuki, j’arrive !!

Enfin, j’entre, je cours si vite (autant avoir une bonne place) que je finis par dépasser (véridique) le saiko stage, la scène où elle doit se produire… je m’arrête un moment essoufflé, il est où ce §£&% de stage. Je finis par le trouver, quelques fans sont déjà là, la scène est minuscule. Quelques visages familiers et des individus inconnus : qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Et après une attente qui me parait brève et longue tout à la fois, Yuki qui finit par sortir de la petite loge située derrière la scène. Elle apparait dans une belle robe rouge. Elégante et souriante, manifestement détendue, elle enchaine deux chansons puis nous dit au revoir… euh, oui, mais enfin… certes c’est super chouette d’avoir vu de près Yukirin pour la première fois. Mais c’est tout ? Content et frustré à la fois… sentiment d’inachevé.

Sur le stand le plus proche du stage, juste face à la porte de la loge, des photos de Yukirin sont affichées, la rumeur de son passage prochain à ce stand entraine une bonne partie des fans vers celui-ci. On patiente… jusqu’à ce qu’une crise de paranoïa démente me saisisse : si elle se faisait la malle par une éventuelle porte dérobée. Je quitte ma place devant le stand et commence à faire le tour du préfabriqué scène/loge. Ce tour d’inspection commence à partir de la porte de laquelle chacun espère la voir sortir. Puis je continue mon chemin, tourne à droite, longe le mur arrière. Méticuleusement, je contourne toute la loge… ouf, il n’y a pas de deuxième porte. Soulagé, je me dis qu’au pire, on pourra l’apercevoir une dernière fois à sa sortie. Mon tour est presque fini, je passe devant la scène et me retrouve rapidement à quelques pas de ce qui est donc la seule porte de la loge. J’en suis là de mes réflexions enfantines quand la porte s’ouvre subitement : en surgit Yukirin qui se fige juste devant moi, aperçoit mon tee-shirt griffonné à son nom, tend son bras pour le désigner du doigt en s’exclamant : « Yuki ! », cela tout en m’adressant un sourire étincelant. Bon OK, j’avoue, je suis aux anges.



"...en surgit Yukirin qui se fige juste devant moi..."

 

Pendant qu’elle rejoint le stand et répond gentiment aux questions qu’on lui pose, je me remets doucement de ce premier face-à-face : Yukirin qui déploie son sourire à quelques centimètres de vous, d’autant plus quand ce sourire ne s’adresse qu’à vous, c’est complètement désarmant. Je viens d’en faire l’expérience et un seul mot me vient à l’esprit : Whaou !

Encore sous le choc, je tente de me reprendre… j’ai trouvé une bonne place sur le côté du stand. Mon appareil photo mitraille Yuki, je l’appelle parfois : « Yuki ! Yuki ! » et parfois elle se retourne vers moi et m’adresse encore son magnifique sourire.

L’interview terminée, elle retourne dans sa loge. La petite foule des fans et curieux attend un peu mais progressivement le flot de la multitude se tarit, chacun allant vers d’autres scènes ou d’autres activités. On est seulement quelques-uns à rester là un peu bêtement. Je suis venu pour elle, uniquement pour elle, donc je patiente.

J’aimerais juste lui dire un dernier au revoir… mais je sors quand même mon feutre noir par précaution : elle parait dans une telle bonne disposition. Et si…

Après de très, très longues minutes durant lesquelles je commence à me demander ce que je fais encore là, elle finit par sortir. Elle s’est changée, elle a troqué ses hauts talons pour des chaussures dont la qualité essentielle semble être le confort… Nous entrons dans l’univers backstage en quelques sorte : les lumières sont éteintes, le show est fini. Elle échange rapidement quelques mots avec deux jeunes filles qui semblent avoir négocié quelque chose avec un responsable préalablement (voilà des gens organisés !!). Puis Yuki me voit, m’adresse ainsi qu’aux rares personnes encore présentes de grands sourires et de joyeux « arigatô » tout en agitant la main. Quelle pro quand même ! Plus que cela, elle semble vraiment contente d’être là.

Accompagnée de sa manager, elle s’éloigne, tirant sa petite valise à roulettes. Je fais quelques pas derrière elle, juste après qu’elle a tourné dans une allée, seulement pour, des yeux, la suivre en train de s’éloigner. Elle se retourne plusieurs fois et nous fait encore des saluts de la main dans de grands sourires… elle semble se retourner une dernière fois et là, subitement, sans que je m’en rende compte, sans que je comprenne réellement – peut-être une lueur dans son regard qui a activé quelque chose en moi – comme une force extérieure à mon être qui me pousserait de l’avant, je m’approche d’elle en lui présentant d’une main mon feutre noir et en tirant de l’autre sur le bas de mon tee-shirt pour le tendre. Elle me sourit, jette un rapide coup d’œil à sa manager qui acquiesce, saisit le feutre que je lui tends, se penche vers mon tee-shirt et y appose sa fameuse signature… quelqu’un arrive derrière moi et parvient à lui faire signer quelque chose aussi. On échange quelques mots, moi avec mon japonais approximatif, elle qui ne comprend pas complètement mais ne cesse de sourire… Je lui montre mon téléphone et balbutie un « shashin » fébrile, elle me sourit encore, regarde sa manager qui cette fois tire la tronche. Arghh, Yuki me lance un dernier regard qui semble signifier : « désolée, j’aimerais bien, mais l’autre a l’air de vouloir se tirer au plus vite… ». C’est pas grave Yuki, merci encore, c’était génial. Elle s’éloigne définitivement dans un dernier « arigatô ». Whaou ! Whaou ! Whaou ! Impossible de me réveiller, cet état second se prolonge, je n’arrive pas à réaliser ce que j’ai pu obtenir. Cela me parait tellement inespéré. Je reste dans un brouillard joyeux le reste de la journée… ce ressenti si étrange, cette impression d’avoir vécu un rêve éveillé…



"...je m’approche d’elle en lui présentant d’une main mon feutre noir et en tirant de l’autre sur le bas de mon tee-shirt pour le tendre..."

 

De Yuki à Mayu : le long chemin

De cette expérience, mentalement, je revois essentiellement une image : Yukirin s’éloignant et jetant derrière elle des regards jusqu’à rencontrer le mien et cet élan qui m’a alors propulsé vers l’avant. La suite me dira que c’est davantage qu’une image, c’est la préfiguration d’un moment plus fort encore. Envoyée par Mayu, Yuki est venu à Paris pour me préparer à quelque chose de grand. J’en suis aujourd’hui convaincu, aussi fou que cela puisse paraître.

Depuis le Sousenkyô, je me suis inscrit au AKB Ticket Center version anglaise (à ne surtout pas faire ! dame desu !!) pour le cas où j’irai – quelle folie ! – voir le concert de Mayu dont on attend encore la date.

L’été passe… dois-je le confesser ? Mayu passe un peu en arrière-plan… de loin, je suis de très près la tournée des Keya dans tout le Japon. Je suis frustré de ne pas y être… quel imbécile je fais ! J’aurais pu aller au Japon cet été, pff… un été de frustration. A tel point que je suis prêt à prendre un billet d’avion pour juste aller à la dernière date des Keya au Makuhari le 30 août. Mais je n’obtiens pas de billet de concert. Je ronge mon frein. Qu’est-ce que je suis mal organisé !! Malgré mon expérience extrêmement positive avec Yukirin, je sens la loose s’emparer de moi.

Début septembre, je prends mon billet d’avion pour le Japon. Si je n’ai pas de ticket pour le concert Mayu dont la date a été fixée au 31 octobre, tant pis, je profiterai du Japon autrement. C’est la sixième fois que je m’y rendrai. J’aime tellement ce pays.

Durant tout le mois de septembre, c’est l’attente de la loterie pour le concert de Mayu qui revient au premier plan. Un jour, cela commence enfin. Je m’inscris au fan club AKB et le relie au compte AKB ticket center. Etrangement, les premiers jours, alors que j’arrive bien à me connecter à mon compte, le lien pour participer à la loterie reste inactif. Je ne comprends pas. Je finis par demander conseil aux uns et aux autres. Beaucoup prennent du temps pour m’aider, essayer de comprendre ce qui arrive, en France, au Japon, ailleurs... Je remercie vraiment toutes ces personnes qui tentent de régler mon problème et je me dis que c’est une chance qu’on puisse compter les uns sur les autres au sein du fandom. Finalement, après des heures à cliquer partout, à déconstruire le processus, à s’arracher les cheveux à tenter de comprendre, je décide de clôturer mon compte anglais AKB ticket center, créé un nouveau compte sur la version japonaise (merci le tuto d’AKBgirls48 !) et finalement relie mon compte fan club au compte japonais AKB Ticket Center que je viens de créer. Dans un état de tension qui me stresse un maximum, je finis, une heure quinze avant la fin de l’inscription à la loterie, par parvenir à mes fins. Ca y est ! Je suis inscrit à la loterie. Je reçois le mail de confirmation, il est 1h ou 2h du matin, je ne sais plus, je m’effondre, épuisé, mais j’ai du mal à m’endormir tant mon taux d’adrénaline a augmenté. Suis-je un loser ? De l’extérieur, ça semble plus facile pour les autres habituellement… ou suis-je un winner ? à force de ténacité, j’ai fini par réussir. Chacun jugera… De la ténacité, il faut en avoir, ça c’est sûr. Yukirin me l’a prouvé et une nouvelle leçon de vie m’attend encore.

Après tous ces efforts – je suis resté 6h d’affilée devant mon ordi avant de pouvoir m’inscrire – je suis certain de gagner à la loterie. On ne peut pas faire tant d’efforts sans que cela soit récompensé, cela n’est pas possible. C’est ce que j’aimerais croire. Mais la vie n’a que faire de ce genre de considérations. J’attends les résultats, sûr que cela va marcher. Et puis le jour des résultats arrive. Où est le mail qui annonce mon triomphe ? S’est-il perdu dans les limbes d’internet ? Mais enfin, ce n’est pas vrai : j’ai perdu ? Mais… c’est injuste… je suis dépité… reste la loterie générale… je la perds aussi… L’énormité de la chose me saute aux yeux : ma membre préférée, Mayu, s’en va, c’est son concert d’adieu, je serai au Japon et je ne pourrai pas y assister. Mais c’est trop cruel ! 17000 places et pas une pour moi !

Ou alors acheter un billet à un revendeur ? Les prix flambent sur internet. Certains prix demandés relèvent du délire. Je ne me sens pas de le faire, négocier à distance avec un Japonais, cela me parait hors de portée pour moi. Mon japonais n’est pas assez bon. N’ayant aucune expérience en la matière, je me dis que je préfère tenter le coup sur place. On verra bien…

Durant les jours qui précèdent mon départ, je me rends compte ou plutôt je m’avoue à moi-même que si je vais au Japon, c’est cette fois-ci uniquement pour Mayu ! Mayu, hum… le prénom résonne étrangement à mes oreilles. Chacun vit sa relation avec son oshi de manière particulière. Mayu est pour moi tel un paysage : un vallon au fond duquel l’eau d’une rivière, bordée de prairies et de rizières, scintille sous le soleil. Il y a des arbres et des animaux et la lumière évolue au fil des saisons. Je n’ai pas besoin de tout savoir sur elle, c’est juste que la regarder m’apaise. Davantage : juste la savoir là, quelque part, même loin, très loin de moi, m’apporte un peu de joie. C’est un sentiment étrange, sans équivalent. Qui n’a pas de vraie oshi ne peut pas vraiment comprendre. Mayu est ma oshi, définitivement. Elle peut bien quitter les AKB, déménager sur la Lune, épouser un alien… elle est en moi. Je ne suis rien pour elle et ce n’est pas grave, cela n’a strictement aucune importance pour moi. Ce n’est pas comparable à un quelconque sentiment amoureux dont on espérerait une contrepartie. Savoir que Mayu existe me suffit. Ce serait plutôt comme un ange gardien, une figure qui dans l’ombre accompagnerait mes pas.

J’ai vraiment l’impression de m’être menti à moi-même : je serai incapable d’apprécier ce séjour si je n’assiste pas à cet événement. Cela me met une pression énorme sur les épaules.

J’atterris à Tokyo le samedi 28 octobre à 8h du matin. Comme souvent, la première journée se passe dans le brouillard du décalage horaire. Fatigué, je rejoins le centre de Tokyo depuis Narita Airport. Le ciel est gris, le plafond nuageux extrêmement bas, quelques gouttes accompagnent mes premiers pas dans Tokyo… mauvais présage ? En sortant de la gare Sangubashi, derrière le parc Yoyogi, trainant ma valise, j’aperçois une échoppe proposant du Karaage… bon présage ? Bon, évidemment, je vais l’essayer, hommage à Mayu oblige, mon premier repas ici… Ensuite, je récupère les clefs de l’appartement que j’ai loué. Je me repose. Je ne m’active un peu qu’à partir du lendemain, vois des amis, traine à Shinjuku dans le magasin Tower Records où les Keya sont à l’honneur, leur nouveau single vient de sortir, le moment des premières emplettes… c’est dimanche et dans deux jours c’est LE concert… je ne me prépare pas vraiment… mais préparer quoi finalement ? Je n’ai aucune idée de ce qui m’attend.

Le grand jour

Ce mardi 31 octobre, j’arrive à la gare Saitama Shintoshin quelques minutes avant 13h. La gare n’est qu’à quelques pas de la Saitama Super Arena. Je dois retrouver N. qui fait la queue depuis plusieurs heures pour accéder au Goodies shop spécial concert de Mayu, qui doit ouvrir justement à 13h. J’en profite pour me promener, faire le tour de cette salle que je découvre. Je prends mes marques si l’on peut dire, je me familiarise avec le théâtre des opérations. Tout de suite, je me demande si ça va être possible. A quoi on reconnait un revendeur japonais ? Faut-il aborder des gens au hasard ? Je ne suis pas un grand tchatcheur, je ne me vois pas aborder une à une les milliers de personnes qui arrivent doucement sur place. Le concert doit commencer à 18h30 et les portes de la salle de concert ouvrent à 17h. Je ne sens pas très bien ce coup-là…



"La gare n’est qu’à quelques pas de la Saitama Super Arena..."

 

Je finis par retrouver N. que j’accompagne à Saitama où il doit se changer après ses folles emplettes. Nous revenons aux abords de la salle de concert vers 15h30. Il y a maintenant davantage de monde. Nous avalons une barquette de yakisoba. Et nous nous mettons en chasse. Enfin, c’est un bien grand mot : nous errons sur le parvis autour de la porte A. Je scrute le visage des Japonaises et Japonais qui affluent de plus en plus. A qui m’adresser ? Il y a là des groupes qui font leur trafic de photos des membres, des personnes qui discutent entre elles, des gens qui attendent aussi, près des barrières aux abords de la porte A. Je me rends compte rapidement qu’il s’agit essentiellement de racheteurs de billets qui attendent les revendeurs à qui ils ont donné rendez-vous devant cette porte : j’observe leur manège, l’échange ticket contre argent. A 17h, toutes les portes ouvrent, y compris la porte A de laquelle je ne m’éloigne que rarement. Je scrute, scrute, scrute mais aucun visage ne semble s’ouvrir à moi. J’interroge ponctuellement quelques personnes et je tombe notamment sur un otaku dont le discours se limite à des grognements incompréhensibles et qui en réalité cherche lui aussi un ticket à racheter – je le comprends au billet de 10 000 yens qui dépasse ostensiblement de son portefeuille qu’il tient à la main. Cela ne me rassure pas de n’être pas le seul racheteur potentiel sur le parvis. Les autres personnes que j’interroge me répondent d’un « iie » las. Je ne me sens guère encouragé dans mes quelques rares démarches. Et pourtant je reste là, je n’arrive pas à décoller de ce parvis. Je pourrais retourner à mon appartement et voir le live sur internet mais je sais au fond de moi que je ne le ferai pas : ou bien j’entre dans cette salle, ou bien je vais finir la soirée en errant dans les rues, la tête baissée à broyer du noir. Hors de question que je regarde le live, ce serait encore plus déprimant pour moi qui suis encore juste devant les portes du paradis.



Les fans rangeant leur photos et goodies après les avoir juste acheté

 

A 18h, la foule compacte des entrants s’est déjà engouffrée dans les couloirs de l’immense édifice. Quelques personnes arrivent encore mais, une fois la nuit tombée, on voit parfaitement de l’extérieur la lumière du couloir, presque vide maintenant, qui s’enfonce derrière la porte A. Il n’y a plus de foule, juste quelques individus isolés. Certains semblent encore attendre nerveusement leur revendeur, se demandant s’il va arriver. Et j’erre toujours sur le parvis, regardant les visages qui semblent se détourner de moi. Il fait nuit et froid. Qu’est-ce que je fous là ? Qu’est-ce que j’espérais ? N. est entré à 18h avec la presse. Je suis seul, la déprime et la frustration m’envahissent, s’insinuent en moi. Echouer si près du but, faire des milliers de kilomètres pour rester bloqué devant la porte. Tout cela me parait dérisoire et justifié à la fois. Se réveille en moi le sentiment d’une grande lose. Je n’ai peut-être que ce que je mérite. J’ai froid et j’en ai marre. Mais impossible de m’éloigner de cet endroit, qui agit comme un aimant sur moi. Les minutes passent et le peu d’espoir qui demeure en moi s’amenuise. 18h10… 18h15… 18h20… les minutes passent… quelques retardataires isolés courent presque pour entrer avant le début du concert… je m’éloigne un peu de la porte A et envoie un message à certains fans de Mayu, leur avouant que j’ai misérablement échoué dans ma quête… il est alors 18h25… plus que cinq minutes avant le début du concert. Je me rapproche de nouveau de la porte A. Je me fige devant cette large vitre porte derrière laquelle je peux voir le personnel de sécurité. Je suis à 30 mètres du bonheur environ et ce bonheur m’est interdit. J’ai l’impression d’être un petit garçon qui aurait le visage collé à la vitrine d’une pâtisserie, en train de dévorer des yeux de gros choux à la crème, dont il sait qu’il ne les mangera jamais. Cela relève de la torture morale, ce que je m’inflige. Dans l’état où je me trouve, je suis incapable de relativiser. Toute pensée rationnelle m’a abandonné. Si je n’entre pas et je ne vais pas entrer, je vais trainer ma déprime durant le reste de mon séjour au Japon… quel gâchis !

L’esprit envahi par de sombres pensées, je n’aperçois pas tout de suite cette jeune fille qui se trouve entre moi et cette fameuse porte A. Elle se dirige vers cette dernière mais doucement, très doucement, un pas après l’autre. Sa démarche ne me semble pas naturelle. Cela m’interpelle. Je commence à fixer mon regard sur sa silhouette. Elle est encore à une quinzaine de mètres de la porte. Et puis, je la vois qu’elle jette des regards en arrière. Elle semble chercher des yeux quelqu’un dans l’obscurité. Oui, c’est clair, elle attend quelqu’un. Quelqu’un qui ne vient pas. Et si… Elle s’éloigne peu à peu de moi qui reste figé comme un simplet… le temps semble ralentir… il se passe un truc là… mon cerveau commence à tourner à toute allure… elle continue d’avancer et de se retourner en regardant dans ma direction… se surimpose dans mon inconscient l’image de Yukirin qui s’éloigne en se retournant régulièrement… la même force, mais décuplée, me saisit alors et me pousse vers l’avant. La suite est entourée de brumes étranges, un halo d’impressions diffuses, ce même état second qui vous fait perdre pied et semble vous exclure du monde réel.

Ai-je marché ? Ai-je couru ? Ai-je volé ? Je n’en ai plus aucune idée. Je me suis élancé et je l’ai rejointe en un rien de temps… quand j’arrive à sa hauteur, elle tourne son visage vers moi, a ce regard poli, souriant mais prudent que proposent mécaniquement les Japonaises quand elles veulent vous signifier : « je suis à ton écoute mais je reste sur mes gardes ». Je me penche vers elle et les mots sortent automatiquement de ma bouche. J’ai l’impression d’être un robot et que ma voix est métallique. Est-ce moi qui parle réellement ?

S’ensuit donc un échange de quelques mots qui restent et resteront gravés dans ma mémoire :

-          Sumimasen ga ticketto wo urimasu ka ? (excusez-moi, vous vendez un ticket ?)

Elle, timidement, en penchant la tête de côté :

-          Hai

Comment ça « hai » ! tu me dis « hai » comme ça simplement ? tu te rends compte de ce qu’implique ce « hai » ? J’espère que ce n’est pas une sale blague !! qu’est-ce qui se passe ? L’univers semble basculer… Ces pensées qui fusent en un éclair dans mon esprit et ces émotions qui me traversent n’altèrent pas mon comportement robotique puisque j’enchaine aussitôt, sans m’en rendre compte moi-même :

-          Ikura desu ka ? (c’est combien ?)

Elle, switchant étrangement en anglais, murmure presque, tout doucement, en détachant chaque syllabe et en me regardant du coin de l’œil, la tête toujours légèrement penchée de côté :

-          Ten thou-sands yen

Je demeure interdit, bouche bée. Bien que flottant dans mon brouillard épais, je n’ai pas besoin de faire le calcul, je pense juste qu’elle se trompe : 10 000 yens, ce n’est pas possible, c’est en gros le prix de vente normal du ticket ! La revente se fait plutôt autour de 25 000 yens… ou alors elle veut 100 000, elle a oublié un zéro… je n’ai pas 100 000 yens mais quand même plus de 60 000 yens en poche – ce qui est prévu pour l’ensemble de mon séjour. Dans mon état, je suis prêt à tout lui donner, jusqu’à la dernière pièce de 1 yen, mon pantalon et ma chemise si elle veut, mon petit sac à dos, mes lunettes, les poils de ma barbe… tout ce qu’elle veut… toutes ces pensées ne durent qu’un instant. Dites-moi ce que vous voulez et je vous le donnerai mademoiselle. Devant mon air interloqué suite à ce qu’elle vient de me dire en anglais, elle doit penser que je n’ai pas compris et elle répète, mais en japonais cette fois-ci :

-          Ichi man (Dix mille)

Sans même que je m’en rende compte, j’ai sorti un billet de 10 000 yens de mon portefeuille et lui ai tendu. Elle s’en saisit et me tend un ticket sur lequel je jette un œil incrédule. Qu’est-ce que j’ai dans la main ? Je rêve, c’est ça ? J’ai l’impression d’être passé dans un univers parallèle par une faille spatio-temporelle. Je prononce alors bêtement quelques mots en me demandant si ma grammaire est correcte… dans mon état, il ne faut pas trop m’en demander… sans doute veux-je seulement qu’elle me confirme que ce qui se passe est réel :

-          Isshoni hairimasu ka ? (On entre ensemble ?)

Elle, simplement, comme si tout était évident :

-          Hai.

Je regarde l’heure : il est 18h28. Le concert doit commencer dans 2 minutes. Notre échange a dû durer entre 15 et 20 secondes. Mes pieds ne touchent plus terre.

Nous nous dirigeons vers la porte A. Nous franchissons ensemble la porte vitrée et je suis étrangement effrayé. Ce qui m’arrive n’est pas réel, ce n’est pas possible, je vais me réveiller. C’est une caméra cachée, on va me dire que je ne peux pas entrer. C’est cela qui serait logique, non ?

Le premier rideau sécurité consiste à passer le détecteur sur les sacs. Ils vont trouver quelque chose qui ne va pas et me jeter dehors à coups de pied. Non, je passe. Puis l’ange et moi présentons nos tickets : spontanément, elle présente en même temps sa pièce d’identité. Elle passe, je passe. Les choses ont l’air naturel pour elle, mais pour moi tout ce qui se déroule à ce moment-là relève du conte de fées. Un autre personnel de sécurité regarde cette fois dans les sacs. Je passe. Je passe. Je passe ! Tous les contrôles sont franchis victorieusement ! Nous faisons nos premiers pas côte à côte dans le couloir inondé de lumière. Je me rends compte que tout le monde me croit encore dehors. J’envoie un message rapide, j’ai l’esprit vide, que dire ? quels mots ? pas le temps de réfléchir… « imasu, imasu, imasu, ureshii ».

Une fois que j’ai fini de tapoter, mon ange me signale qu’il faut se dépêcher parce que le concert va vraiment commencer. Je veux juste lui préciser en la remerciant que je viens de France exprès pour ce concert, elle semble comprendre mon japonais malhabile mais reste toujours sur cette réserve polie, toute japonaise. Je jette un regard sur mon ticket bariolé de mots japonais et je me laisse guider. Niveau 200 (pour 2 en fait, la porte A se trouve au 2e niveau), travée 212… on y arrive après une cinquantaine de mètres. Une double porte battante sur notre droite surmontée d’un panneau où est inscrit en gros « 212 » : elle la pousse, je m’engouffre derrière elle, nous sommes dans le noir du sas, une deuxième porte battante, elle la pousse, je m’engouffre derrière elle… et là, une salle immense, remplie à ras-bord s’ouvre devant mes yeux. Je suis saisi. Est-ce possible ? Est-ce bien moi ? Suis-je vraiment ici ? Un escalier descend devant nous : je rejette un œil sur mon ticket : rang 7. Nous descendons et peu à peu je me sens aspiré par cette foule nombreuse. Il est 18h31. Sièges 223 et 224. Je les aperçois de loin nos sièges : ils sont bien libres et semblent n’attendre que nous. Personne n’est venu d’une rangée située plus haut pour s’en emparer. Je loue cette discipline japonaise qui, parfois, dans d’autres contextes, peut sembler agaçante. Je n’arrive pas à détacher mes yeux de la salle, de tous ces rangs de fans. Les lumières sont encore allumées. C’est juste grandiose et je me demande encore si je ne suis pas en train de rêver. Je suis perdu dans l’immensité de ces 17 000 personnes réunies pour Mayu. C’est bouleversant et je suis extrêmement ému. C’est le brouillard total dans ma tête.

Il s’agit de sièges qui se relèvent. Nous nous postons chacun devant le nôtre : j’ai le n°224. Devenu incapable d’une quelconque initiative, je calque mes mouvements sur les siens : elle dépose son sac à main à ses pieds devant elle, je dépose mon petit sac à dos à mes pieds devant moi ; elle ôte son manteau qu’elle dépose sur son sac, j’ôte ma veste que je dépose sur mon sac. Nous nous asseyons. Je la vois qui se penche vers son sac, y cherche quelque chose. Elle finit par en sortir deux glowsticks. Et là, dans sa bienveillance infinie, elle m’en tend un, sans un mot, arborant toujours son sourire léger, poli mais réservé. J’accepte ce glowstick en la remerciant beaucoup. Combien de fois lui ai-je dit « arigatô » depuis que je l’ai rencontrée tout à l’heure ? Je ne sais plus.

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